Second Tension, les vestiges de l’avenir

Second Tension est le projet de Stavros Tilkeridis, artiste et DJ grec. Il compose depuis plus de 30 ans, mais le projet Second Tension n’est né qu’en 2016. Ses premières expérimentations sonores ont commencé dans les années 1990, en créant des boucles à partir de breakbeats à l’aide d’un lecteur de cassettes. Au fil des ans, son approche a évolué, passant des boucles hip-hop à la musique spirituelle, psychédélique et ambiante, pour finalement s’installer dans la techno plus dure, sombre, et mystique qui définit son style actuel.

Stavros puise son inspiration dans une riche mosaïque d’influences, dont la mythologie, la culture grecque ancienne et les paysages sonores chaotiques, explorant des thèmes mélancoliques à travers des fréquences sombres et industrielles. Ses œuvres sont profondément personnelles, nées des émotions et des idées entourant les événements de sa vie, tels que les troubles politiques en Grèce, qui ont inspiré son premier EP Schisma sur Persephonic Sirens, le label qui allait devenir sa maison de disques pour une durée indéterminée.

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A travers ses différentes sorties sur Persephonic Sirens (4 au total à ce jour), Stavros continue d’explorer des thèmes émotionnels et philosophiques complexes, mêlant des masses sonores chaotiques à une profonde introspection. Son lien avec le label continue d’agir comme un catalyseur pour son expression créative, et de cimenter sa place dans un paysage sonore unique et évolutif.

A l’occasion de la sortie d’Atropos, son dernier EP sur Persephonic Sirens, Rust a posé quelques questions à l’artiste, afin d’en savoir plus sur son parcours atypique empreint d’un certain mysticisme qui ne laissera personne indifférent·e.

Ton projet Second Tension est né en 2016, mais tu composes en réalité depuis presque 3 décennies. A quoi ressemblait ta musique à tes débuts ? 

Mon parcours musical a commencé au début des années 90 avec un lecteur de cassettes avec lequel je tentais de créer des boucles en enregistrant et en faisant passer des samples, principalement du break beats. J’essayais de faire jouer le sample de la face A pendant que le couplet de la face B était enregistré, puis je coupais et enregistrais la bande pour créer une boucle. C’était mon besoin de créer quelque chose. Plus tard, à la fin des années 90, j’ai acheté mon premier sampler, un Akai 2000xl, où j’ai généralement expérimenté divers sons, à partir de différentes sources sonores, pour créer des boucles de hip hop et des rythmes de break. 

Puis vint l’ère de l’informatique et surtout d’internet qui facilita l’accès au matériel informatique et aux stations de travail audio numériques, apportant quelque chose de révolutionnaire dans ma façon de penser. A partir de l’an 2000, j’expérimentais principalement pour trouver les couleurs sonores qui reflétaient ce que je ressentais sur le plan émotionnel. Je n’ai pas écrit de musique distordue, je dirais que les sonorités que je recherchais étaient plus spirituelles et psychédéliques avec divers projets ; principalement avec des amis jouant de la musique ambient. Mon premier projet solo était une techno hypnotique, car je sentais qu’elle était liée à la musique ambient que j’écrivais auparavant.

En 2016, après avoir joué mon premier liveset solo, le DJ après moi a joué Knights and Bishops d’Ancient Methods, que j’entendais pour la première fois. C’était le morceau qui a libéré mon esprit, toutes ces fréquences de ce morceau en particulier m’ont fait penser très différemment, alors que je les évitait toujours auparavant. Je considérais ces fréquences comme quelque chose à éviter, car j’opérais avant avec une sorte de cliché dans ma manière d’utiliser les timbres. C’est vraiment difficile à décrire avec des mots, c’est plus un côté esthétique et c’est une sorte de recherche dans le pays sans fin des fréquences.  
C’est à partir de ce moment là que j’ai commencé le projet Second Tension.

Dans quelles circonstances t’es tu retrouvé sur le label d’Ancient Methods ? 

C’est l’esthétique de Persephonic Sirens qui m’a poussé à envoyer la démo de Schisma, puis celle de The Third Soma. Les disques Phryktoria et Atropos ont été créés pour les soirées de Persephonic Sirens, la sortie sur le label est donc une capture de tous ces moments.

Pourquoi ce nom, Second Tension ? 

Lorsque j’ai commencé le projet, je lisais les contes de fées de Carlos Castaneda. Dans l’un de ses livres, il parle de la seconde tension comme d’un état de conscience accrue. Je pense que j’ai souvent ressenti cet état avec la musique et c’est ainsi que j’ai donné ce nom au projet.

Dans ta musique et particulièrement depuis ‘Schisma’ sorti en 2021, votre premier disque sorti sur Persephonic Sirens, il est presque impossible d’être insensible à ces thèmes sombres, si mélancoliques, voire aux influences gothiques et EBM. J’ai le sentiment que ça a été particulièrement exploré sur ‘The Third Soma’ sorti en 2022 et sur ‘Phryktoria’, ton album sorti l’année dernière. Y’a t’il une émotion particulière en créant ces sons, sont-ils liés à quelque chose de spécial dans tes inspirations ?

Je dirais que cette musique a plus à voir avec les idées qu’avec les genres musicaux. Schisma est né d’une inscription, sur un mur près de chez moi, qui dit “Je crains le schisme” et de la vision de l’art byzantin ainsi que de la lecture de tous ces désaccords constants et de cette guerre constante que nous vivons. Il y a eu une période en Grèce où les nationalistes extrémistes sont entrés au Parlement grec, et ils avaient des bataillons d’attaque où ils adhéraient à leurs idéaux. L’un de ces bataillons a assassiné un artiste, ce qui a divisé le pays dans un climat de guerre civile. Je pense que cela a poussé cet humain particulier à écrire sur le mur de la peur dans le schisme (Schisma), « φόβου το Σχίσμα » en grec.

Le disque “The Third Soma” est plutôt une structure en trois parties. Dans Phryktoria je n’arrêtais pas de penser à l’étoile dansante de Nietzsche et à mes émotions quand je lisais Hermann Esse qui créait pour moi un sentiment à couper le souffle. Dans Atropos, j’ai pensé au travail de Xenakis sur la masse sonore et la description du nuage sonore en évitant de se concentrer sur les détails du son. Je considère que la chose la plus importante pour moi est toute l’expérience de la musique dans différentes périodes de temps comme des souvenirs de couleurs sonores.

“Atropos” développe des atmosphères et des émotions musicales à la fois massives et très orientées club, mais également empreinte d’une certaine mélancolie. Est-ce que tu la provoques intentionnellement ou est-ce qu’elle s’installe naturellement ?

Je pense que c’est une question de subconscient, donc je ne sais pas d’où viennent ces emotions.

La voix sous toutes ses formes fait partie intégrante de ta musique, elle est disséminée dans la plupart de tes titres : chants lyriques saturés, chants sacrés, screams, manifestants scandant des slogans…. qui confère un certain bagage onirique. Dans quel contexte sont reprises les phrases scandées sur Curse of justice ? Elles semblent être extraites d’un rassemblement ou d’une manifestation. Est-ce une forme d’hommage envers les différents mouvements de protestation en Grèce contre la politique d’austérité ?

Le sample provient d’une représentation théâtrale britannique du drame grec Médée et plus particulièrement d’une partie récitée par le chœur (Χορός). Le titre de la pièce est quelque peu ironique car nous vivons en imposant une justice sans logique et sans amour, à une époque où la justice est fabriquée.
Dans mes compositions, j’aime intensifier différents éléments culturels du passé. C’est comme si je prenais tous ces grands mots et que je les plaçais sur un fond sonore différent.

Ton travail contient pas mal de références à la mythologie, à la Grèce antique, et parfois au sacré. Comment entretiens-tu cette curiosité et est-ce que cela t’aide dans la façon de composer, de penser tes morceaux ? Penses-tu que c’est quelque chose de consubstantiel avec ton univers musical ?

Je voulais raconter une histoire avec des sons et surtout créer une structure progressive afin que de nombreuses esthétiques différentes puissent être intégrées à ma musique. Les éléments mythologiques sont un chemin où différentes significations sont cachées à l’intérieur et tout cela peut être transmis et transmuté en quelque chose de plus profond. C’est peut-être ce qui me pousse à inclure de tels éléments dans ma musique.

Ta musique me fait parfois penser au chaos, à l’entropie. En écoutant certains titres, comme le très long “No Rejoicings of Joy Shall Ever Be Tasted” sur Atropos, je pense à l’une des références citées dans ta bio, Pierre Schaeffer aka le père de la musique concrète, qui est l’un de ceux qui tentèrent de faire surgir en musique une « horde de sons ». Est-ce que tu aimes cette idée de créer autant d’agitation dans tes compositions ?

Le chaos et l’entropie font partie du processus de composition de ma musique et sont intimement liés à ce que je ressens. En général, la palette sonore est complètement chaotique, dans un désordre absolu. D’une manière ou d’une autre, tout cela fonctionne dans ce que je fais. Dans Atropos, j’ai essayé de rendre une structure progressive comme nos émotions changeantes. Les hordes de sons associées aux éléments dramatiques créent un paysage sonore très agréable et je pense que c’est juste ma façon de placer tous ces éléments dans une palette sonore plus large pour travailler dans l’espace.

© Kostas Meletiadis

C’est ton 4e disque sur Persephonic Sirens, dont le total de tes releases sur le label compte à présent 3 EP et 1 LP. Dirais-tu que ta musique tient une place particulière au sein du label ? Les autres sorties du label t’ont-elles permis de prendre du recul sur tes propres disques ?

J’ai l’impression que cette musique n’existerait pas sans Persephonic Sirens. Il n’y aurait pas cette sur-stimulation créative. Je pense que cela m’a beaucoup apporté et m’a poussé à trouver et à découvrir davantage de moi-même. Je suis reconnaissant envers Michael pour ce qu’il m’a donné. Le label a créé une belle esthétique, j’apprécie vraiment tous ces ensembles sonores de personnalités différentes et j’y vois un nuage sonore plus large.

“Atropos” out on Persephonic Sirens – Release date : 06/09/2024 (Vinyl + digital)

Discographie : DiscogsBandcamp

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